L’élection présidentielle rend fou, c’est hélas bien connu. Elle rend fou une classe politique qu’elle obnubile, tant elle fait et défait les destins, tant tout dépend d’elle jusqu’au sort du plus petit responsable local d’un parti. Plus grave, elle déstabilise la société tout entière, par le spectacle violent qu’elle produit et la polarisation militante qu’elle induit. Promettant énormément, le scrutin suspend pendant quelques semaines voire quelques mois les conditions d’une activité économique et sociale sereine. Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : en l’espèce, les institutions font la différence.
En France plus qu’ailleurs, nous en sommes malheureusement encore à élire une sorte de roi républicain. Héritage d’une longue histoire et de circonstances particulières, la constitution de 1958, couronnée en 1962 avec l’élection présidentielle au suffrage universel direct, est d’abord celle d’un général-président en plein embrasement d’une partie du territoire d’alors, l’Algérie. Pas loin du coup d’Etat, comme le stigmatisera sur le moment François Mitterrand… avant d’incarner lui-même bien plus tard cette constitution dans tout son impérium et ses excès.
C’est tout notre problème. A la différence des démocraties parlementaires qui nous entourent pour l’essentiel en Europe, où il s’agit de choisir un parti, qui lui-même devra souvent faire des alliances avec d’autres, dont le chef de la principale formation est traditionnellement nommé premier ministre, mais qui reste sous la surveillance de ses alliés et même de son propre parti, pouvant être remplacé à tout moment (ce qui arriva y compris à une Margaret Thatcher pourtant iconique et victorieuse de trois scrutins consécutifs). Non, dans notre cas, c’est un quasi monarque absolu qui est désigné pour peu que sa formation l’emporte aux législatives, élections désormais alignées sur son mandat avec le quinquennat, et programmées dans la foulée de son sacre pour minimiser le risque d’une cohabitation. Une fois sur son trône et le contrôle du Parlement assuré, il n’y a que peu de limites à ses pouvoirs et à son emprise, tout au moins pour les cinq ans de son mandat. Une situation encore plus exorbitante qu’aux Etats-Unis, où le Congrès est particulièrement puissant et indépendant même en cas d’alignement des partis dominants de l’exécutif et du législatif – on vient d’en avoir un nouvel exemple avec l’échec du « Trumpcare ».
Aux Etats-Unis, justement, on l’a vu lors de la dernière présidentielle, cette hystérisation atteint aussi des sommets quand le choix d’une personne seule semble déterminer autant, surtout si les candidats en présence sont clivants. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la France semble perdre les pédales face à un choix aussi singulier, celle d’un chef tout-puissant. Les militantismes s’exacerbent, les passions se déchaînent, les injures pleuvent, les coups bas sont incessants.
D’autant que l’époque n’arrange rien, bien au contraire. C’est d’ailleurs pourquoi l’atmosphère paraît encore plus irrespirable de nos jours avec un tel cadre institutionnel. Celui qui nous régit encore aujourd’hui fut conçu à l’époque de médias bien rangés et peu nombreux, de la télé en noir et blanc et de l’ORTF, d’un autre rapport à l’ordre et à l’autorité de l’Etat. Mais en 2017, à l’ère des réseaux sociaux triomphants, des « fake news », des chaînes d’info en continu, des blogs débridés et des médias alternatifs qui pullulent, ce régime monarchique apparaît encore plus décalé avec son temps. Et son point culminant, l’élection, tourne à la farce hystérique. Plus question de projets, d’idées, de vision, mais bien une forme de télé-réalité géante où c’est tout le peuple qui doit choisir son gagnant et souverain…
Le pire étant que cette confrontation personnalisée et infantilisée à l’extrême que génère à notre époque ce type de régime ne s’arrête pas à l’élection. Car celle-ci sécrète une énorme frustration chez les vaincus, contraints de subir cinq années durant le règne d’un individu honni. Et qui vont passer le temps du mandat à déverser leur haine sur le monarque en espérant lui régler son compte à la prochaine élection. On l’a vu avec le « Hollande bashing » lors du quinquennat qui s’achève. On le voit aussi chez ceux qui refusent la victoire de Trump aux Etats-Unis. La polarisation de l’opinion et des camps atteint des sommets. Là encore, au moins les Etats-Unis ont-ils les élections de mi-mandat pour renouveler le Congrès comme soupape par défaut. Ce n’est même pas le cas en France, et le mandat présidentiel y dure une année de plus…
Dans les régimes parlementaires, le chef du gouvernement n’est pas sacralisé. Il n’est d’ailleurs pas chef d’Etat, fonction symbolique dévolue à un vrai monarque constitutionnel ou à un président aux pouvoirs très restreints, généralement élu par le parlement. Tout en n’étant pas concurrencé en matière de pouvoir exécutif comme dans le système français hypocrite d’un tandem président / premier ministre (le second n’étant en fait que le fusible du premier), ce chef de gouvernement doit avancer prudemment, au milieu de toute une équipe et face au parlement, pour trouver des compromis majoritaires. Il est un justiciable à peu près comme les autres. Et il est surtout congédiable facilement en cas de crise de toute nature, sans même avoir besoin de recourir à de nouvelles élections.
Comment s’étonner dès lors que ces démocraties soient plus sereines, qu’elles aient un rapport bien plus normalisé à leurs politiques, que ceux-ci ne puissent se permettre des écarts ou s’accorder des privilèges d’Ancien régime ? La démocratie française est en comparaison malade d’une classe politique hors sol, aux pouvoirs souvent excessifs et aux comportements parfois immoraux. Le tout entretenant à la fois le populisme et la détestation du peuple, les attentes les plus déraisonnables comme les déceptions les plus amères.
Il est plus que temps pour notre pays de rentrer dans l’âge adulte des démocraties, celui qui s’accommode de surcroît le mieux des tensions et des passions que peuvent générer les nouveaux modes de communication. Pour ce faire, une seule solution : en finir avec l’infantilisation d’un roi républicain.