Avant de protester, le patronat devrait se réformer

Les organisations patronales représentatives à l’échelon interprofessionnel (Medef, CGPME, UPA) ont donc décidé d’une mobilisation la première semaine de décembre. Un mouvement qui s’explique, disent-elles, car les entreprises seraient « à bout ». De fait, il n’y a guère matière à douter de ce constat. D’abord car la situation économique est éprouvante pour beaucoup d’entreprises. La crise a débuté dans notre pays il y a maintenant plus de six ans et notre économie semble toujours en garder les séquelles. Ensuite, l’ajustement budgétaire des années 2011-2013 a été éreintant car il a pris presque exclusivement la forme de prélèvements supplémentaires, tandis que les baisses d’imposition annoncées depuis tardent à se concrétiser. De par sa nature, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) se matérialise lentement, au contraire d’un allégement de charges à effet immédiat. Les mesures du pacte de responsabilité, dont le principe a été annoncé il y a près d’un an, n’entreront en vigueur qu’à partir de 2015, et de manière progressive. Enfin, vient s’ajouter à ce paradigme fiscal un chapelet de contraintes nouvelles et urticantes, comme la mise en place du compte pénibilité, la loi Hamon sur les cessions d’entreprises, sans parler du cortège des mesures de la loi Duflot pour le secteur du bâtiment.

 

Mais dans le même temps, le patronat semble totalement inerte dans la sphère pourtant considérable de ses propres responsabilités. Il cogère seul avec les syndicats de salariés plus de 100 milliards de prélèvements obligatoires annuels sur les entreprises françaises et leurs salariés, et il ne paraît pas avoir seulement commencé leur réforme.

 

L’assurance chômage a ainsi fait l’objet en début d’année d’une nouvelle convention bien timorée, se contentant de tout juste stabiliser le niveau de déficit de ce régime entre 3 et 4 milliards d’euros par an. Tout en maintenant, pour le financer, un taux de prélèvement sur les salaires sans équivalent chez nos principaux partenaires. Pire, s’agissant des retraites complémentaires Agirc-Arrco, le patronat a accepté en 2013 un relèvement des cotisations sur plusieurs années, qui vient peser un peu plus sur le coût du travail. Tandis que là aussi, les déficits s’installent et qu’il va falloir trouver de nouvelles mesures pour équilibrer ces caisses.

 

Le patronat a également la coresponsabilité de mesures aussi étranges que l’imposition d’un minimum de 24 heures par semaine pour les temps partiels, ou encore l’obligation de mettre en place une couverture complémentaire santé en entreprise à compter de 2016. Autant de dispositions décidées par des accords interprofessionnels qui nous éloignent de la situation de nos voisins et de la compétitivité renforcée des entreprises que le patronat ne cesse par ailleurs de réclamer aux pouvoirs publics.

 

De même le patronat est-il aussi comptable, toujours avec les syndicats, d’une situation de plus en plus dégradée de la justice prud’homale – une exception française -, qu’il s’agisse des délais ou de la qualité des jugements. Il reste pourtant accroché au statu quo face au projet de réforme de ces tribunaux, qui risque dès lors d’être minimaliste. On pourrait y ajouter une série de chantiers lancinants, pour lesquels le patronat français est au cœur des choix et des responsabilités, et où rien ne semble bouger. C’est le cas des tribunaux de commerce et du coût des démarches associées, du fonctionnement erratique des chambres de commerce et d’industrie, de la formation professionnelle, une usine à gaz que les pseudo-réformes par accords paritaires ne font que complexifier un peu plus, ou encore de l’ex-« 1% logement » et de la médecine du travail, dont l’efficacité et parfois la pertinence ne semblent pas interrogées. Cerise sur le gâteau, la mesure de la représentativité patronale a fait l’objet d’une solution a minima.

 

Qu’il s’agisse des accords conclus avec les syndicats de salariés en matière de droit du travail ou de la gestion de régimes de protection sociale, qui pèsent lourd en termes de prélèvements obligatoires, le paritarisme rime depuis des années avec conservatisme. Au lieu d’être une solution, comme se plaît souvent à le proclamer le pouvoir politique pour se défausser des réformes qu’il devrait mener, c’est un problème. Un problème singulièrement français, qui comme tout notre système social vieillit mal, et dont le patronat devrait faire sa priorité.

 

Article publié dans Les Echos le 3 décembre 2014